Les songes et leurs interprétations chez les Ahl-e-Haqq

transfert par Pascale Faure

Ce texte important de Mohammad Mokri concerne les Ahl-e Haqq (Les Fidèles de la Vérité), une communauté présente dans l’ouest de l’Iran et dans la région de Guran, qui pratique une croyance faite d’un syncrétisme religieux. Cette croyance comporte notamment l’incarnation, la réincarnation et la vision. Les Ahl-e-Haqq et les Persans partagent les mêmes légendes au XIe siècle.
Les visions (par l’intermédiaire des songes, des rêves) ont une grande importance dans la vie des Ahl-e-Haqq : s’appuyant sur l’expérience affective de l’extase , elles rejoignent ainsi les pratiques des Derviches qui puisent dans le zoroastrisme, le mazdéen : corps et âme sont comparés au temple du feu et au feu sacré.
Les Kurdes comme les Ahl-e-Haqq accordaient une grande importance aux rêves. On trouve des coutumes communes à propos des songes également entre les shiites d’Iran et les Ahl-e-Haqq.
Le rêve « historique » relevé dans un document daté au 933 de l’Hégire nous informe que le nom de cette communauté provient du nom de Bâbâ Yâdigâr Saint Ahl-e Haqq vivant dans la région de Gurân.

Notes :
Pîr : guide
Alh-e-Haqq : Les Fidèles de la Vérité
Dans la cosmologie des Alh-e-Haqq, trois notions sont importantes : le Silence, les Eaux, la Perle…

Ces croyances pratiquées par le peuple de Gurân ainsi que leur langue gorani sont proches des croyances et langue zaza (kirmandji) du peuple de Dersim : elles prennent aussi leurs sources pour les unes dans le mazdéen et pour l’autre dans le Dailam . 
Ce texte et les recherches de Mokri permettent de retrouver des éléments historiques importants pour comprendre l’origine géographique, la cosmogonie du peuple de Dersim et la singularité de sa culture actuelle.
Cette article provient de la librairie-bibliothèque Scrupule qui possède d’autres publications de cet auteur :
– 1966, La légende de Bizan-u Manija, Paris : Klincksieck
– 1977, La grande assemblée des fidèles de vérité au tribunal sur le Mont Zagros en Iran, Paris : Klincksieck
– 1970, Contribution scientifique aux études iraniennes, Paris : Klincksieck
Ces documents sont disponibles pour la consulation à la bibliothèque Scrupule.

PS : Savas, connais-tu ce texte? Il peut apporter des éléments à tes questions et complèter tes recherches sur l’identite …

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Les songes et leurs interprétations chez les Ahl-e-Haqq du Kurdistan iranien

Par Mohammad Mokri


Très répandus dans le Kurdistan, dans la région de Gûrân en particulier, ceux qui se nomment eux-mêmes Ahl-e-Haqq ou « Fidèles de vérité » forment, en marge de l’islam iranien, une secte gnostique fort peu orthodoxe ; leur doctrine est un étrange amalgame de notions très diverses ; elle conserve notamment des traditions proprement iraniennes venues des temps pré-islamiques.
Le songe chez les Ahl-e-Haqq revêt une importance toute particulière, car il est étroitement lié à deux des thèmes fondamentaux sur lesquels se fondent leur croyance : incarnation et réincarnation d’une part, vision d’autre part.

Incarnation et réincarnation

Pour les Ahl-e-Haqq, en effet, Dieu et les anges se sont incarnés plusieurs fois, se manifestant à différentes époque et sous des noms différents. Dieu notamment, jusqu’à une date récente, s’est réincarnée successivement en certains hauts initiés, saints et réformateurs, les « Rois » de la secte (shah).
D’autre part, chaque homme doit parcourir depuis le jour de la création la route de l’existence en mille et une incarnations dont la durée est variable ; le Jugement de Dieu interviendra seulement lors de la mille et unième incarnation.
Il y a pour l’homme différentes manières de se réincarner. Au chapitre 67 d’un traité où Hâdj Nûr Alî Elâhî Mokri (né ne 1895) a formulé une série de questions et de réponses au sujet des croyances alh-e Haqq, sont mentionnés quatre modes possibles de réincarnation : après la mort, ce qui est le cas normal ; exceptionnellement après une maladie, lors de la guérison ; parfois à l’état de veille, quand l’homme sent subitement que son âme est changée ; enfin pendant le rêve. Dans ce dernier cas, le rêveur s’aperçoit qu’il est devenu une autre personne. Cette prise de conscience nouvelle par l’illumination, quelque soit le mode selon lequel elle se produit est désignée par l’expression « s’éveiller soi-même à la suite d’un rêve » Cette locution est couramment entendue dans la bouche des Ahl-e-Haqq ; elle apparaît aussi dans leur textes : ainsi, dans le Shânama-ye Haqîqat (p. 411), pour décrire la prise de conscience par Mahomet de sa mission prophétique.
A titre d’exemple, évoquons encore la légende du poète Bâbâ-Tâher, personnage historique, célèbre en Perse. Bâbâ-Tâher vivait au Ve siècle de l’Hégire –soit le XIe siècle de l’ère chrétienne. Il composa des poèmes mystiques en persan mélangé de dialecte. C’était à l’origine, un simple paysan, complètement illettré. Selon une première version de sa légende, commune aux Ahl-e-Haqq et aux autres Iraniens , il demanda un jour comment il pourrait échapper à son ignorance. Il reçut le conseil de faire ses ablutions dans un bassin d’eau glacée dès son réveil, ce qu’il fit. Après ce bain, il se sentit transformé, sut immédiatement lire et écrire, et de ce jour, il devint un poète savant et un grand mystique…. Or selon, une autre version de l’histoire – version orale propre aux Ahl-e-Haqq, cette métamorphose s’opéra de la même façon, à la suite non pas d’un conseil reçu, mais d’un rêve.


Vision

Un autre thème fondamental est celui de la vision. Sous cette forme, les Bâten-dâr c’est à dire Ahl-e-Haqq parvenus à une certaine maturité spirituelle, pensent pouvoir recevoir toutes sortes de révélations sur des sujets les concernant personnellement, ou bien intéressant des tiers : elles leur permettent de se rappeler leurs vies antérieures, de donner leur témoignage sur les incarnations d’autres personnes, etc… C’est ainsi que la catégorie la plus importante des rêves, considérés comme rêves visionnaires (Khwâb-e bâten) équivaut à des révélations divines.
Les Ahl-e-Haqq vivent de fait, dans un univers spirituel qui leur est particulier ; toutes les choses qui les entourent ont pour eux une signification cachée, de tel sorte que parfois l’invisible devient plus réel que le visible. Ainsi, ils considèrent que la vision, même dans le rêve, est une réalité.
Cette foi en la vision est fondée sur l’expérience de l’extase comprise comme moyen d’accès à une connaissance supérieure. Il s’agit d’une attitude religieuse essentiellement affective. Les Ahl-e-Haqq vivent constamment dans l’attente de visions divines et s’efforcent ardemment de les obtenir : le songe ne représente pas donc pas pour eux une perte de conscience, mais au contraire une possibilité de révélation.
Pour comprendre cette attitude visionnaire encore en honneur chez les derviches et chez les Ahl-e-Haqq, il faut se référer aux littératures anciennes de l’Iran : celles-ci présentent, elle aussi, des cas de sommeil visionnaires.
Pour l’état de l’âme pendant le rêve, on lit au chapitre 29 du livre zoroastrien Zât-Spram que le corps et l’âme humaine sont comparés respectivement au temple du feu et au feu sacré. Le ministre du feu a pour fonction de veiller au temple et d’attiser le feu : « Lorsque le corps dort, l’âme sort et s’en va, tantôt près, tantôt loin et revient au corps au moment du réveil. » Ainsi, pour attiser le feu, le ministre se tient à côté de lui ; lorsque le feu est éteint, il ferme la porte du temple et s’en va tantôt loin, tantôt près.
Dans le chapitre 30 du même livre, il est question de l’âme qui est dans le corps ; celui-ci lors du sommeil, reçoit l’instruction de l’âme qui est « sur la Voie » laquelle est de nature purement spirituelle et bonne.
Dans la vison du héros mazdéen Ardâ-Virâf que le sort a désigné pour se rendre au ciel afin de savoir si le culte rendu par les Mazdéens aux divinités leur agrée, le procédé employé pour obtenir ce transfert est l’absorption d’un narcotique. Le sommeil visionnaire est provoqué ici comme chez les derviches par un stupéfiant mêlé à du vin. Dans le Livre d’Adrâ- Virâf, ce stupéfiant s’appelle le mang de Vishtâsp. Nous savons en effet que le Vishtâsp, roi de l’iran, n’accepta le message de zoroastre qu’à la suite d’un sommeil surnaturel provoqué par un dose de mang (ou bang) que lui apporta Ardavahisht sur l’ordre d’Ohrmazd.
Enfin, nous devons faire allusion aux rêves mystiques et aussi aux rêves souvent appelés alam-e-Vâqi’a ou ru’yâ-ye Sâdiqa qui donnent un aspect particulier à la littérature persane, dont les sources sont souvent des ouvrages mystiques sur la vie des maîtres spirituels des sectes, et les légendes mystiques telles que le Mathnavi de Mawlânâ Djalâl ad-Dîn Rûmi et le Nafahât al-Ons de Mawlânâ Djâmî, et le Cafvat-oç-cafa de Ibn-Bazzâz, etc…


Les espèces de songes

Il y a selon les Ahl-e-Haqq deux façons d’avoir une vision divine, même en dehors des rêves : tantôt Dieu se montre au voyant sous l‘apparence que ce dernier lui-même imagine, tantôt il se montre au voyant tel qu’Il est dans son essence. Il est en est de même dans le rêve. D’après le chapitre 28 du manuscrit de Hadj Nûr Alî, les rêves doivent être divisés en deux catégories : 
1°) : rêves concernant le passé ; : ces rêves du passé sont un rappel d’événements réels, vus ou vécus dans le passé récent ou lointain. 
Ces rêves signifient parfois des choses à venir et en ce cas, ils se réalisent. Parfois, ils n’ont d’autres sens que d’être une réminiscence du passé ; ils sont alors sans portée .
2°) : rêves se rapportant à l’avenir : Ces rêves là se réalisent. 
Les rêves que peut faire le dormeur qui a trop mangé ou qui est malade, autrement dit les cauchemars, n’ont aucune signification : ils sont, purement et simplement, des accidents pathologiques. Toutefois, l’auteur signale que certains rêves de malades atteints de fièvre thyphoïde s’accomplissent :
Les rêves que l’on fait en plein jour sont de deux sortes : ou bien ils ont un effet immédiat, ou bien ils sont sans portée .
Lorsqu’on rêve de choses matérielle dont on a envie, le rêve n’a pas de sens. Mais ceux qui désirent la vison de Dieu et vivent dans cette attente ont des rêves réels. L’importance de ces rêves est proportionnelle à la piété et à la capacité spirituelle du rêveur ; si quelqu’un demande à Dieu quelque chose d’important, mais ne le mérite pas, il ne verra rien en rêve.

Les vœux faits en rêve

Les décisions et les intentions prises en rêves sont considérés par les Ahl-e-Haqq comme comportant une certaine obligation : on se doit de les exécuter. Hâdj Nûr Alî s’étend largement sur ce sujet et consacre plusieurs chapitres aux vœux faits en rêve. Dans le chapitre 28, il est indiqué qu’il est toujours préférable de mettre à exécution un vœu que l’on a fait en rêve, et l’auteur cite les quatre cas suivants : 
1°) Un être apparu en rêve ordonne au rêveur d’exécuter tel ou tel vœu.
2°) Le rêveur possède une chose déterminée et rêve qu’il la consacre par un voe ;
3°) Dans son rêve, le rêveur décide de faire quelque chose de précis en conséquence d’un vœu.
4°) Il rêve que quelqu’un lui dit : « Tu devrais faire quelque chose de précis en conséquence d’un vœu : pourquoi ne le fais-tu pas ? »
Même si le rêveur n’avait pas fait ce voeu auparavant il doit l’exécuter. Si le rêveur en se réveillant ne se souvient pas pour l’amour de quel Pïr (maître spirituel) il s’est engagé par ce voeu, il doit quand même l’exécuter. Cependant si le vœu est trop lourd pour lui, il pourra être dispensé de l’accomplir.
Le chapitre 54 concerne les vœux portant une alternative : par exemple, donner son argent et son bœuf, ou son bœuf à la place de l’argent, etc… et indique de quelle façon résoudre ces difficultés. Le chapitre 57 traite de cas où quelqu’un qui a fait un voeu dans l’état de veille, rêve qu’il est exempté totalement ou partiellement de son obligation ; il en sera effectivement dispensé s’il n’est pas en mesure de l’accomplir mais sera tenu de l’exécuter le jour où il le pourra. S’il ne peut jamais accomplir son vœu, il n’encourt aucun reproche. C’est à lui à juger en conscience s’il peut ou non l’accomplir : mais il ne doit pas finasser pour échapper à son obligation. Dans le cas où il rêve qu’il est partiellement, il suffit qu’il accomplisse la partie de l’obligation qui lui reste.
Le chapitre 64 concerne les vœux formés dans l’état de rêve et dont on est dispensé également en rêve. Il précise que si la disposition du corps et de l’âme n’a pas changé pendant ces deux rêves contradictoires, l’exemption est valable.
Le chapitre 99 envisage le cas où l’on rêve qu’on accomplit un vœu en sacrifiant un animal appartenant à autrui. Le rêveur est alors obligé d’acheter cet animal, à moins que le prix ne soit trop élévé pour lui, et les autres Ahl-e-Haqq doivent l’aider dans ce cas. 
Si le propriétaire est un bon Ahl-e-Haqq, il est obligé de le vendre à un prix modique. Mais s’il refuse de le vendre, l’autre n’encourt aucun reproche ; il doit toutefois s’efforcer de trouver un animal semblable.
Les Ahl-e-Haqq attachent une très grande valeur aux serments et aux engagements pris à l’égard d’autrui ou dans la seule présence de Dieu, et se considèrent comme tenus de les exécuter par tous les moyens possibles. Citons par exemple le chapitre 49 du manuscrit de Hâdj Nûr Alî qui indique que les engagements pris par serment, en rêve aussi bien qu’à l’état de veille, sont obligatoires à moins qu’il ne s’agisse d’un engagement impossible ou immoral, tel que de promettre de tuer quelqu’un ou de se marier à une personne indigne , de divorcer ou de répudier sa femme, de brûler sa maison, de se déshabiller dans la rue, de voler, etc.. . On est alors quitte de son engagement si on donne en compensation une petite somme d’argent Pandj shâhî (cinq sous) à titre de rachat. Mais si on peut tenir l’engagement pris, on est tenu de s’y conformer.
Le chapitre 58 traite du cas où un homme s’étant engagé par serment en l’état de veille, se trouve dans l’impossibilité d’accomplir ce qu’il avait promis et en rêve, voit un Bâten-dâr – c’est à dire un initié ayant atteint un haut degré de perfection spirituelle ou même une personne ordinaire, le dispenser de tenir son engagement. Cette dispense doit-elle être considérée comme valable ? l’auteur répond qu’il y a lieu de considérer la nature du serment ou du vœu de pénitence, et ensuite de décider. Si le voeu de pénitence est destiné à empêcher quelque chose de mal, un acte contraire à la volonté de Dieu, on est obligé d’accomplir ce qu’on a décidé, en dépit de son rêve.
Mais si l’on fait un vœu dont la fin est contraire à la morale et à la religion, comme par exemple de ne pas aider les pauvres, on est dispensé, même si l’on a fait un rêve affirmatif, et on est obligé de renoncer à son engagement :, on doit seulement fournir une compensation à titre de rachat et ne plus faire de tels serment à l’avenir/ .
Mais si ces serments et ces voeux de pénitence portent sur quelque chose d‘indifférent au regard de la religion ou de la vie privée et que l’on rêve qu’on en est dispensée, cette dispense est valable.
Il faut noter que les enfants, les fous, les incapables ne peuvent s’engager, car ceux-ci doivent être faits en toute lucidité.


Pratiques et coutumes

En dehors de la secte des Ahl-e-Haqq, les Kurdes en général attribuent aux rêves une très grande importance. On en trouve de nombreuses traces dans les poésies folkloriques.
Quand un Kurde raconte un rêve qu’il a eu, son interlocuteur doit lui dire : « Que votre rêve soit béni » ou « qu’il vous arrive de bonnes choses ! », sinon il se rend coupable d’une grave impolitesse susceptible de porter malheur. A quoi il convient de répondre : « Que de bonnes choses vous arrivent aussi ! » 
L’importance des rêves est très grande dans le Kurdistan et l’on trouve dans les régions de l’Iran occupées par les shiites et les Ahl-e-Haqq, la coutume suivante : si quelqu’un rêve qu’un Imam ou un Saint personnage (Pîr) vient dans son village ou lui désigne un endroit particulier, ou lui indique son tombeau et si le rêveur est considéré comme un homme pieux digne de foi, digne aussi du respect des autres villageois, ceux-ci se considèrent comme obligés d’élever un mausolée à cet Imam ou à ce saint à l ‘endroit même où l’a vu le rêveur. On l’appelle Khwâb-némâ (= monté en rêve).Ce lieu devient un lieu vénéré et sert à certaines dates de lieu de réunion et de festivité.
D’après le chapitre 45 de notre manuscrit, les gens qui deviennent Ahl-e-Haqq à la suite d’un rêve, ont le droit de choisir comme Pîr (Maître), le Pîr de la famille à laquelle appartient la personne qu’ils ont vue en rêve et dont la vision les a incités à se convertir.

Conditions pour avoir un rêve

Pour avoir un rêve visionnaire, l’Ahl-e-Haqq doit en « former l’intention ». pour ce faire, il lui faut d’abord invoquer en son for intérieur le nom de son « Roi » éternel (Pâdesâh-e-azali) c’est à dire de Soltân-Sehâk et celui de son Maître éternel (Pîr-e-Azalî) c’est a dire de Pir-Benyâmin (Gabriel) ainsi que le nom de son Guide éternel (Dalil ou Rahabar-e-azalî) c’est à dire de Pîr-Dâwûd. Ensuite le nom de son « Roi »spirituel et le nom du Maître (Pîr), et du guide (Dalil) de la famille à laquelle il est attaché, et auquel il a livré sa tête. Puis avant de se coucher, il lui faut de nouveau prononcer le nom de son roi, de son Pîr, de son Dalil et de son Murshid terrestre et « prendre son refuge » en ces personnes. S’il n’a pas de Mushid particulier, les noms de Pir et du Dalil suffisent.
Avant de s’endormir, il ne faut pas qu’il laisse vagabonder son imagination, mais il doit concentrer toute sa pensée sur son intention.
Le chapitre 42 de l’ouvrage de Hâdj Nûr Alî insiste sur ce point : les intentions de rêves doivent être proportionnées au degré spirituel atteint par le rêveur. S’il demande une connaissance ésotérique qu’il n’est pas digne d’obtenir, il ne sera pas exaucé. 
Les Ahl-e-Haqq, même quand ils n’ont pas l’intention de recevoir un rêve visionnaire, ont coutume de réciter avant le sommeil les paroles suivantes tirées de leurs prières habituelles, et qui représentent la base de leurs croyances :

Mon commencement est Yâr (Dieu)
Ma fin est Yâr (Dieu)
Mon Pîr (Maître) est Benyâmîn (Gabriel)
Mon Dalil (Guide) est Dâwûd (Michel)
L’Ange qui inscrit ma destinée est Pîr-Mûsî (Raphaêl)
Au nom du service pur de Ramzbâr ! (l’Ange Mère de Dieu). »


Sommeils miraculeux

Nous avons quelques exemples typiques de sommeil miraculeux, chez les Ahl-e-Haqq ; il ne s’agit pas de rêves à proprement parler car les personnages dont il est question sont considérés comme des incarnations angéliques ayant dépassé le stade des rêves visionnaires , et ils ont été gratifiés d’un prodige.
Ainsi, nous est contée l’histoire d’une vielle femme qui avait un fils, et une vache, et qui vivait au temps de Noé. Ce dernier l’ayant averti qu’il y aurait un jour un déluge, elle envoyait chaque matin son enfant apporter à Noé un pot de yaghourt, ou (d’après une autre vision) de lait fraîchement trait, afin que ce patriarche les protège lorsque la catastrophe arriverait. Or, quand survint le déluge, Noé, tout à fait involontairement les oublia. Mais Dieu eut pitié d’eux et les fit d’endormir dans le creux d’un rocher. Lorsqu’ils s’éveillèrent, le déluge était passé sans qu’ils s’en fusent aperçus.
Dès son réveil, la vieille femme envoya son fils apporter le lait comme à l’habitude. Noé fut très confus de les avoir oubliés, mais se réjouit de ce que Dieu, Lui, ne les avait pas oubliés. 
La femme, était, d’après les Ahl-e-Haqq, l’incarnation de Ramz-bâr, l’Ange Mère de Dieu, et le fils l’incarnation de Abedîn, l’une des incarnations angéliques visitées passagèrement par Dieu, du temps de Sôltan Shâk (Vers le VIIIe siècle de l’Hégire). Abedîn (d’après le Kalâ-e – perdîwarî) témoigna que c’était lui qui était le fils de cete feme etque c’était lui aussi qui était Noçayr et d’autres parmi les incarnations passagères à différentes époques.
Un autre exemple est celui des sept dormants de la tradition musulmane. Ils sont considérés par les Ahl-e-Haqq également comme des incarnations angéliques.


Rêves légendaires

Dans la tradition des Ahl-e-Haqq, nous ne trouvons aucune allusion à un rêve qu’aurait eu une incarnation divine, Dieu étant censé ne jamais dormir.
Nous trouvons même dans le manuscrit du Kalâm-e-Shâh-Khôshîn, une anecdocte sur la vie du Roi Khôshîn selon laquelle quatre archanges désirant faire sortir Shah Khôshîn de la maison où on le croyait endormi, afin qu’il exauçât leurs vœux, volèrent le troupeau du père terrestre de Shâh Khôshîn. Sa fiancée voulut le réveiller ; mais le roi se fâcha, car, en réalité, il est toujours éveillé.
Par contre, pour les incarnations angéliques, les rêves ne sont pas exclus : Les derviches –en réalité des anges- qui allèrent demander la main de la fille de Hosayn-Beg, de la tribu Djâf, pour le sheikh Isî, père de Soltân-Sehâk, lui dirent qu’ils venaient à la suite d’un rêve. Une autre tradition concerne le sheikh Djonayd de Baghdad, célèbre mystique (mort en 910 de l’Hégire à Bagdad) qui selon la tradition des Ahl-e-Haqq vivait au temps de Shâh Ibrahîm (personnage historique, l’un des successeurs de Soltân-Sehâk, considérée par les Ahl -e-Haqq comme une incarnation angélique).
Un jour que Shekh Djonayd faisait un sermon dans une mosquée à Baghdad, il fit allusion aux, secte répandue alors dans cette ville ; il déclara qu’il ignorait si leur religion était vraie ou fausse. Les disciples lui demandèrent de poser la question à son Maître. Djonayd fit une retraite, en prières, et il eut un rêve visionnaire où il fut révélé que le religion des Ahl-e-Haqq était bien d’origine divine. A la d suite de ce rêve, il se dirigea avec une foule de disciple vers le monastère de Shâh Ibrahim où ils se déclarèrent Ahl-e-Haqq en « livrant leur tête » (cérémonie analogue à une initiation). Le manuscrit Shâh- nâma-ye-Haqîqat, en confirmant cette histoire dit que Djonayd était l’incarnation de Pîr-Dâwûd (l’Archange Michel).
Selon le même manuscrit, c’est à la suite d’un rêve que Pîr-Benyâmîn (l’Archange Gabriel) dans une autre incarnation trouve le roi Hayâs II, incarnation divine dans la maison d’un personnage appelé Isâ Basâkân.
D’après les traditions des Ahl-e-Haqq, un certain Mîr Khosrow, fils d’une vieille femme avait été fait prisonnier, pour une raison quelconque, à Ispahan. Sa mère se rendit chez Soltân-Sehâk, « Roi du monde », et demanda la liberté de son fils. Le roi l’assura que son fils lui serait rendu le lendemain. Cette nuit-là, le jeune homme rêva que Soltân-Sehâk lui disait : « Demain, tu enlèveras tes chaînes, tu selleras un cheval et tu partiras chez toi. Si quelqu’un te demande qui t’a libéré, tu répondras que c’est sur l’ordre de l’Emir des Emirs ». Après ce songe, il fit ainsi et revint à son pays de Madaïn.
Le shânama-ye-Haqîqât raconte cette histoire de façon un peu différente et dans d’autres textes Ahl-Haqq, le personnage s’appelle Khosrow Khan Barzandjaï et les choses se passent autrement.


Rêves historiques

Mais le plus célèbre de ces rêves qui s’appellent ro’yâ-hâ-ye çâdeqa –rêves véridiques- est attesté par un titre de propriété du village de Anzala (au N..O. de Kermanshah), daté de l’an 933 de l’Hégire.
Ce document se trouve, dit-on, chez les Ahl-e-Haqq des Sayyed yâdegârî, et dans les archives de l’administration des waqfs de la ville de Kerend. Nous en possédons personnellement plusieurs copies. D’après ce document, un personnage appelé Qamâm-od-Dîn, fut enchaîné pendant 2 ans dans les prisons de Baghdad, sur l’ordre du vizir de cette ville, Shâhûmand. Malgré de multiples démarches de sa famille et des notables de Baghdad, il demeurait prisonnier. Sa mère lui conseilla de prier Bâbâ-Yâdegâr, Saint Ahl-e-Haqq, successeur de Soltan-Sehâk, qui vivait dans la région de Gûrân et Awrâmân, à Sarâna, village où se trouve encore son mausolée. Qâmâm-od-Dîn purifia son intention, versa d’abondantes larmes et se concentra sur Bâbâ-Yâdegâr. Il eût un rêve au cours duquel quelqu’un lui dit : « Qâmâm-od-Dîn, nous t’avons sauvé. » Qâmâm-od-Dîn demanda : « O Maître, qui êtes-vous ? ». Il répondit : « Je suis le Sheikh Yâdegâr et je demeure à Sarâna Zarda de Yazdjerd. »
Le lendemain matin, le vizir Shâhûmand le libéra et lui offrit des présents. Il est raconté dans ce document que Shâhûmand lui dit « Si je ne te libérais pas, je périrais, car la nuit dernière, Sheikh Yâdegâr a mis sa canne sur ma gorge en m’ordonnant de te libérer ».
Quand Qamâm-od-Dîn sortit de prison, il donna à Bâba-Yâdegâr, en waqf, la propriété d’Anzala. Le rêve est attesté dans ce document authentique par la signature de plusieurs témoins . Et ce waqf existe encore ;
Voici un autre exemple caractéristique de rêves chez les Ahl-e-Haqq rapporté sous des formes légèrement différentes dans le Shâhnâma-ye-Haqiqât et dans la tradition orale que nous avons recueillie lors de nos enquêtes. C’est une seconde version que nous jugeons préférable, car c’est la plus courante.
Ce rêve doit être classé dans la catégorie des rêves qui utilise un cadre historique sous une forme légendaire et s’inscrit dans un ensemble de conceptions propres aux Ahl-e-Haqq.

« Le calife arabe de Baghdad, Hârûn ar-Rashîd, considéré comme pervers et maudit avait un frère, Bahlûl, que les Ahl-e-Haqq considèrent comme une incarnation divine, celle d’Ali. D’après cette tradition, parmi ces comtemporains, seuls les mystiques et les Ahl-e-Haqq auraient été capables de le reconnaître comme tel. Lui-même déguisait son mépris pour les défauts de son frère sous les apparences de la folie. 
« Un jour, la femme du Calife, Zarrin, de la famille iranienne des Barmecides, se promenant dans la campagne aperçut Bahlûl en train de faire des tas de briques, à la manière des enfants. Elle lui demanda ce qu’il faisait là ; il répondit qu’il construisait des pavillons au Paradis. Elle lui demanda à quel prix il lui en vendait un ; il répondit : « Pour ton collier de diamants » Zarrin lui donna de bons cœurs ce joyau d’une valeur inestimable, que plus tard Bahlûl distribua aux pauvres (ou aux enfants selon le Shârnâma).
Quelques heures après, la calife Hârûn ar-Rashîd rencontre à son tour Bahlûl en train de jouer avec ses briques. Il lui posa la même question, reçût la même réponse et se contenta de traiter Bahlûl de fou et de lui dire qu’il lui faisait honte. « Cette nuit là, le calife rêva qu’il voyait au paradis un pavillon splendide dans lequel se trouvait sa femme Zarrin entourée d’anges et volant parmi eux. Il voulut entrer à son tour dans la pavillon, mais ce lui fut refusé. La colère et l’indignation le réveillèrent et il s’adressa à sa femme qui dormait à ses côtés. Lui racontant le rêve qu’il venait d’avoir, il lui demanda comment il se faisait que lui, l’Emir des Croyants, se voyait interdire l’entrée du pavillon et non sa femme. Celle-ci lui raconta sa propre action. 
« Hârûn al-Rashîd eut beau multiplier les demandes instantes, Bahlûl ne lui donna pas satisfaction : « Non, lui dit Bahlûl, car tu est de nature méchante et de plus tu as vu avant d’acheter. Crois-tu qu’on peut faire un marché avec Dieu ? »

MOKRI MOHAMMAD

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