Dersim 1937-1938

par Vercihan Ziflioğlu   >>>

[Un nouvel ouvrage sur l’opération du Dersim en 1938 se propose de contester l’histoire républicaine officielle concernant cet événement grâce à des photographies jusque là inédites, des documents importants sur le plan historique et des récits de témoins oculaires. Cet ouvrage de Hasan Saltuk, de quelque 600 pages, sera publié en mai prochain, à la fois en anglais et en turc.]

Afbeeldingsresultaat voor DERSIM SOYKIRIMI

Un autre tabou de l’histoire de la république de Turquie est sur le point d’être brisé grâce à la publication d’un ouvrage de Hasan Saltuk sur l’opération du Dersim en 1938.

Saltuk, qui est propriétaire de la maison de disques Kalan, chercheur et ethnomusicologue, a passé neuf ans à collecter des photographies jusque là inédites, des documents importants sur le plan historique, ainsi que des commentaires de la part de combattants qui ont participé à cette opération. Il prévoit de présenter ses découvertes dans un livre de 600 pages, à paraître en mai 2010 en turc et en anglais.

L’A. critique l’état présent de la recherche en Turquie. « Ici les historiens ne peuvent passer outre l’idéologie officielle ; ils ne mènent aucune recherche. Et ceux qui en font et savent la vérité ne peuvent s’exprimer, parce qu’ils ont peur. »

Issu d’une des plus anciennes familles du Dersim, Saltuk ajoute que même s’il est issu d’une tribu turkmène du côté de son père, des dizaines de leurs proches furent tués lors de cette opération.

« Ma grand-mère était enceinte de ma mère, mais elle réussit à échapper à la dernière minute au peloton d’exécution, nous précise Saltuk lors d’un entretien. Les habitants du Dersim ont encore peur de parler. Les anciens pensent encore que quelqu’un viendra les tuer. »

L’opération fut-elle planifiée ?

Selon les sources officielles, l’opération du Dersim – appelé maintenant Tunceli – en 1938 fut mise en œuvre afin de châtier une révolte des tribus kurdes. Or Saltuk a effectué ses recherches dans des archives à travers le monde, en particulier anglaises et américaines, rassemblant des documents importants sur le plan historique.

« Nous observons dans ces documents que l’opération du Dersim fut planifiée ; les rapports furent préparés en 1920. La loi relative à cette opération fut votée en 1935 et mise en œuvre en 1937. Seyit Rıza et ses amis furent pendus sous prétexte qu’ils fomentaient une révolte. », précise Saltuk.

Bien que cette révolte soit qualifiée d’insurrection tribale kurde, Saltuk affirme que la raison fondamentale qui présidait à cette opération était que la région abritait des Alévis du Dersim et qu’il s’agissait simplement d’Arméniens qui avaient changé d’identité.

« Les sources officielles précisent que les habitants du Dersim ne payaient pas d’impôts et étaient exemptés du service militaire, et qu’ils étaient toujours en rébellion. Néanmoins, nous possédons des documents qui prouvent le contraire. Atatürk dirigea lui-même l’opération du Dersim. », dit-il.

« Plus de 13 000 personnes furent tuées lors de l’opération et 22 000 furent exilées. Les enfants orphelins furent soumis à une politique de turcification dans les orphelinats. », ajoute-t-il.

Des militaires qui regrettent

L’ouvrage reprendra les commentaires qu’il a découverts au dos de toutes les photographies qu’il a obtenues. Dans de nombreux cas, les commentaires expriment des remords pour les événements du Dersim. « [Beaucoup] eurent des scrupules de conscience pour ce qui avait été vécu. Certains expriment leurs sentiments par ces mots : « Je suis devenu un assassin. » D’autres écrivent : « J’ai causé la mort de 250 personnes. », note Saltuk.

Le projet suit aussi les traces des soldats survivants qui participèrent à l’opération, précise l’auteur, ajoutant qu’il en vit beaucoup qui furent incapables de s’adapter à la vie sociale : « De nombreux soldats que nous avons interviewés ont demandé que leurs noms soient rendus publics après leur mort. Quelques personnes ont refusé de voir leurs noms figurer dans le livre ; certains déclarent : « Ils nous ont ordonné de tuer et on l’a fait. » »

Il a obtenu des centaines de photographies et de cartes de première main, ainsi que deux dossiers de recensement de la part du petit-fils – dont Saltuk tait le nom – d’un haut fonctionnaire de cette époque. « Les précieux documents et photographies présentes dans ces dossiers révèlent l’opération dans tous ses détails. Néanmoins, il est hors de doute que des dossiers beaucoup plus sensibles se trouvent dans les archives de l’Etat-major des armées turques. »

« Les tabous seront brisés en Turquie. »

Concernant la violente polémique soulevée par les commentaires du vice-président du Parti Républicain du Peuple (CHP), Onur Öymen, sur l’opération du Dersim, Saltuk précise : « En fait, Öymen devrait être félicité. Il a fait ce que les habitants du Dersim n’ont pu faire des années durant en mettant le sujet à l’ordre du jour. »

Saltuk est persuadé que la Turquie entre dans une ère de grands changements : « Tous les tabous de ce pays vont être brisés et, à l’avenir, plus rien n’existera dont on ne puisse parler. »

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